1935-2015, N(icolas) Bourbaki, 80 ans

Réunion du 11 mars 1935

Deuxième journée sur les équations différentielles et un invité physicien

Prenons pour exemple, les textes rassemblés pour cette réunion du 11 mars. La partie centrale rend compte des échanges qui auraient eu lieu au cours de ladite réunion. Comme tout compte rendu, on suppose que le texte n’est ni tout à fait fidèle ni vraiment exhaustif dans ses contenus, mais il en donne un résumé acceptable ou accepté (parfois complété ultérieurement).

Entre les réunions, peuvent avoir eu lieu des discussions dont il ne subsiste que peu ou pas de trace. On peut les supposer si une allusion y est faite. Quant au « temps réel », les repères temporels de cette histoire sont approximatifs mais néanmoins utiles pour suivre le déroulement des travaux du groupe. Par convention ou faute d’autres informations, on considère que les documents rassemblés autour de cette réunion sont contemporains de celle-ci.

Comme pour les premières notes manuscrites de Leray, Delsarte a conservé cette fois-ci un manuscrit à deux mains (delms000) qui révèle une petite partie de cette réunion : l’intervention d’un invité, le physicien Yves Rocard.

Ce court manuscrit relie d’abord une page de notes de la main de Delsarte suivie d’une page griffonnée par Rocard. On remarquera que c’est le verso et non pas le recto de cette dernière qui a été malencontreusement coté, paginé et numérisé : nous remédierons à cette erreur sous peu. En attendant, les amateurs d’écriture spéculaire pourront lire cette page et relever les différences entre les notes de Rocard, celles de Delsarte et le texte dactylographié, ronéoté et donné comme deuxième annexe « À titre documentaire », au compte rendu de cette réunion.

Vraisemblablement, Rocard a griffonné sur papier au fil de son exposé alors que Delsarte prenait des notes de son côté. Puis Delsarte (et peut-être une tierce personne) a mis ces notes en forme, les a dactylographiées, ronéotées puis distribuées aux membres du Traité d’analyse. Retrouvé en annexe au compte rendu de la réunion du 11 mars, on l’a vraisemblablement distribué en même temps que la version tapuscrite et ronéotée des propositions de Leray (soumises au cours de la dernière réunion du 25 février) et le compte rendu ronéoté de la réunion du 11 mars. Nous employons le conditionnel ici, car l’ordre des textes est celui dans lequel ils ont été retrouvés. Soulignons que les originaux de ces tapuscrits ronéotypés (ou ronéotés) ont été privés de leur couleur violet originelle par la numérisation en niveaux de gris qui a été choisie pour ces fonds réunis. En contraste, les notes de Delsarte sont écrites à l’encre noire alors que, beaucoup plus pales, celles de Rocard auraient pu avoir été tracées au crayon. Les textes de Chevalley et de Leray ont été conservés (et vraisemblablement communiqués) avec le compte rendu de la réunion qui suit celle où ils ont été discutés (et l’on y est revenu aussi plus tard). Ainsi, les propositions que Leray a soumises à la réunion du 25 février ont été commentées durant cette réunion et nos « ACTUALITES » ont livré le manuscrit avec les commentaires de cette réunion-là mais la version « officielle » accompagne le compte rendu du 11 mars.

Absent, Leray avait peut-être jugé plus important l’exposé qu’il donnait, ce même après-midi  au « Séminaire de mathématiques » (Julia) où il parlait de la Théorie de Carleman (nous en faisons l’hypothèse). Néanmoins, il a fait parvenir, peu après, un texte manuscrit (delms001) de 4 pages, subdivisé en deux parties, seul échantillon de la main de Leray dans ces archives-ci (avec un intitulé rajouté par Delsarte dans la marge supérieure « Projet d’exposé des théorèmes d’existence topologiques, par Leray »). Ce texte est commenté (vraisemblablement à distance) et les commentaires parvenant à Delsarte avant la composition du compte rendu de la réunion, ils seront inclus à ce compte rendu du 25 février, auquel on doit relier les propositions de Leray.

Voyons maintenant les propositions de Leray. C’est une des esquisses les plus complètes présentées jusqu’ici (avec les plans pour l’intégration de Claude Chevalley et celui de René de Possel, auxquels nous reviendrons).

En gros, on est favorable au plan de Leray, mais on trouve que Leray fait appel à des notions de topologie trop pointues. Il n’est pas dit lesquelles dérangent le plus, mais il est certain que, pour supposer acquise la notion de différentielle comme fonction s’approchant le mieux d’une fonction donnée au voisinage d’un point, celles de fonction continue, de degré topologique, ou de compacité, pour ne nommer que les notions relevées directement par Leray, il faut pouvoir présenter, au préalable, l’équivalent de ce que l’on considérerait aujourd’hui comme un cours d’introduction à  la topologie. Le Comité du Traité d’Analyse se trouve ainsi projeté  très loin du « il faut partir de zéro » clamé au départ.

Néanmoins, l’opposition aux projets de Leray n’est pas du tout radicale et ressemble à celle que l’on a faite au plan de  René de Possel au cours de la réunion précédente : comme ce sera souvent le cas dans le groupe, on hésite à s’aventurer dans un exposé trop spécialisé qui conviendrait plutôt à une monographie. On voit tout de même, dans les propositions de Leray, une occasion de faire le lien entre la théorie des équations différentielles et celle des équations fonctionnelles, les deux sections principales de ce double projet.

L’effet est de reporter la décision à plus tard, encore une fois.  On y reviendra néanmoins dès la réunion suivante.

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TRAITÉ D'ANALYSE

Réunion du 11 Mars. Etaient présents :
WEIL, DELSARTE, CARTAN, DIEUDONNÉ, de POSSEL, CHEVALLEY, LERAY et à titre consultatif, ROCARD.

Après quelques remarques de DIEUDONNÉ sur le compte rendu de la précédente réunion et sur l'opprtunité qu'il y a ou qu'il n'y a pas de s'occuper dès maintenant des équations différentielles, la parole est donnée à ROCARD qui expose les désirs des physiciens.

L'ensemble des demandes de ROCARD est joint à ce rapport. Voici les commentaires et décisions suscitées par ces demandes :

Au sujet des équations et des systèmes d'équations linéaires à coefficients constants, il est décidé que les théorèmes relatifs à la localisation des racines d'un polynome dans un domaine donné, en particulier dans un cercle ou un demi-plan - seront exposés dans la théorie des fonctions analytiques.

Il est entendu aussi qu'on exposera certains résultats simples relatifs à l'élimination d'une ou plusieurs fonctions inconnnues entre des équations différentielle[s] à coefficients constants, résultats qui se rapprochent de certaines méthodes d'algèbre. On ne prend pas de décision bien nette sur le lieu où ces questions seront traitées.

ROCARD parle ensuite assez longuement des équations non linéaires qui se présentent dans l'étude des phénomènes de relaxation; il parle aussi d'un certain nombre des questions connexes : solutions périodiques, recherches de Poincaré, cycles limites, dimultiplication de fréquence, etc.... L'impression générale est qu'il y a là tout un ensemble de travaux récents dus à un grand nombre de spécialistes - dont le principal est Van der Pool. Il est nécessaire de décanter, de dépouiller tout celà, peut-être est-il possible d'extraire une idée générale qui suggérera ensuite d'utiles simplifications. C'est en tous cas un travail assez long qui est en principe confié à DELSARTE, lequel s'engage, dans deux ans, à rédiger un chapitre sur ces questions.

En dehors de cela, il est entendu qu'on fera un fascicule sur les méthodes de Poincaré.

ROCARD parle ensuite de problèmes se rattachant à la théorie des équations aux dérivées partielles - ces questions sont renvoyées à une étude ultérieurs.

Il parle aussi de questions se rattachant à la théorie des équations aux différences finies. Une majorité semble se dégager pour qu'on ne s'occupe pas de ces questions. Il parle enfin du calcul opérationnel d'Heavaside; aucune décision n'est prise.

Incidemment, dans le cours de la discussion précédente, on a décidé qu'on ne parlerait pas des travaux de Painlevé sur les points singuliers des équation différentielles non linéaires. On se bornera aux théorèmes dès maintenant classiques de Briot et Bouquet et du même Pailevé, dans le cas du premier ordre.

La parole est ensuite donnée à LERAY qui revient sur les théorèmes d'existence. On lui pose à nouveau la question d'analycité. Il comprend d'abord mal et croit qu'il s'agit de l'analycité par rapport à des paramètres. Sur ce point il est affirmatif; les théorèmes d'existence topologiques permettent de déduire l'analycité des solutions par rapport aux paramètres, en introduisant des hypothèses convenables. Sa religion semble moins éclairée en ce qui concerne l'analycité par rapport aux variables indépendantes. (théorèmes de Cauchy et analogue). Quoiqu'il en soit il est désormais admis que la théorie des équations fonctionnelles commencera par un exposé des théorèmes d'existence topologiques, quitte à revenir dans chaque cas spécial sur les théorèmes d'unicité et les méthodes de calcul. En ce qui concerne l'analycité, on attend la réponse définitive de LERAY. De toute manière, on parlera de la majorante de Cauchy dans la théorie des fonctions analytiques et il y aura sans doute lieu de l'appliquer au moins à certaines questions particulières - (théorie de Fuchs par exemple) - ceci d'après CHEVALLEY et DELSARTE - DIEUDONNÉ pense différemment.

La prochaine séance sera consacrée aux équations intégrales.

A titre documentaire : Projet d'exposé des théorèmes d'existence topologiques, par LERAY.

Théorie des systèmes de équations à n inconnues.

[...]

Théorie des équations fonctionnelles.

[...]

A titre documentaire : Desiderata des physiciens : (par ROCARD)

[...]

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Théorie des systèmes de n équations à n inconnues.

Théorie des équations fonctionnelles. À titre documentaire : Projet d'exposé des théorèmes d'existence topologiques par J. Leray (1935)

Desiderata des physiciens par Y. Rocard (1935)